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  • Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques des Camerounais de la Diaspora. Ce blog est un espace d'échanges et d'informations citoyennes en faveur de la mise sur pied d'un Etat de droit au Cameroun
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2 février 2007

Cameroun : Thierry AMOUGOU , « Le gouvernement du régime Biya est une kyrielle d’espoirs nourris et de déceptions concrétisés »

Thierry_AMOUGOUDans son style, que certains n’éprouveront guère de la peine à reconnaître, entre petites phrases et gros désarroi sur un pays à la dérive et en quête d’un sursaut à espérer. Tout y passe : L’économie à bout de souffle, la scène politique noyée dans la corruption et ses slogans inopérants. Macroéconomiste, doctorant à la Faculté des Sciences Economiques sociales et politiques de l’UCL en Belgique, membre du Comité Exécutif du CODE (Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques des Camerounais de la Diaspora) Thierry AMOUGOU à lui tout seul est une pensée vivante. Il répond ici sans tabou à nos questions

En tant que membre du comité d'organisation du Prix Moumié quelles sont Vos réactions après la cérémonie de la remise de ce prix ?
   
Bonjour à vous et à tous les compatriotes. La cérémonie du 3 novembre couronnant l’idée et l’élaboration du prix Moumié fait de moi un homme heureux à plusieurs titres. D’abord, j’éprouve, comme tout homme, un plaisir égoïste. Il tient au fait qu’on est toujours content de voir une entreprise partir du stade de l’idée à celui de sa concrétisation réelle. C’est ce plaisir égocentrique qui fait qu’on oublie parfois les efforts consentis une fois que le succès est au rendez-vous comme ce fut le cas avec la remise du premier prix Moumié de l’histoire. Cet événement me procure ensuite un sentiment de fierté d’être camerounais. Je conçois un leader de la trempe de Moumié comme l’expression la plus pure et la plus aboutie de ce qu’on peut appeler un être camerounais réel et symbolique. C’est-à-dire une façon d’être, de voir et d’agir qui caractériserait, selon moi, des citoyens camerounais responsables et avides tant de liberté que de prospérité pour leur pays. Cette fierté nationale que j’éprouve à travers la première remise de ce prix est donc aussi un rêve dont le prix Moumié est à la fois la représentation et le censeur des faits. En outre, Mboua Massok, l’heureux récipiendaire est digne de le recevoir dans la mesure où il possède toutes les vertus que symbolise ce prix. Ce prix est donc un jalon très important pour créer l’émulation non seulement au sein du peuple camerounais, mais aussi autour des idéaux de justice, de liberté, de paix, de prospérité et de démocratie à la base de tout bien-être et que défendait le docteur Moumié.

Dernièrement nous vous avons aperçu très actif lors de la publication du manifeste du Prix Moumié dont vous êtes l'un des piliers dans sa rédaction. Quelles sont les raisons qui vous ont galvanisé dans vos recherches ?

Beaucoup de choses. Je parlerai en premier lieu d’une responsabilité que je qualifie généralement d’altruiste pour marquer la différence avec une responsabilité individualisante qui ne se préoccupe pas des autres mais uniquement de soi. Cette responsabilité altruiste me pousse sans cesse à m’orienter vers des projets qui lient et tiennent les gens ensemble dans le temps et l’espace. L’Etat, la nation, la démocratie, le développement, le prix Moumié sont des projets collectifs de ce type en ce sens qu’ils posent les bases d’un vivre ensemble concerté et cohérent entre des hommes et des femmes qui peuvent avoir leurs appartenances ethniques et politiques spécifiques tout en partageant un socle de valeurs communes telles la justice, la liberté, la paix, la prospérité…

    Il y a ensuite l’histoire avec laquelle j’ai un rapport presque amoureux sur le plan scientifique. La longue durée, les mouvements de fond et les structures mentales et physiques des peuples sont fondamentaux pour la compréhension de leurs dynamiques. L’histoire est le laboratoire en activité de notre présent. Le prix Moumié me donnait donc l’occasion de situer la dynamique de la société camerounaise dans son histoire afin qu’elle prenne solidement racine dans les strates et les profondes structures nourricières de son avenir. Moumié, figure positive de cette histoire est pour moi l’un des meilleurs viatiques pour en exploiter toute la force et la pensée. Il ne faut pas oublier que chacun d’entre nous, tous nos pays et tout ce que nous faisons sont à la fois la combinaison de l’histoire et des innovations présentes. En conséquence, on ne peut bien construire le présent et l’avenir, i.e., innover qu’en s’appuyant sur ce qui était déjà là avant l’innovation. Le prix Moumié se présente à ce titre comme un catalyseur d’innovations dans tous les domaines où les acteurs ont besoin de symboles et de repères fiables. Cette symbolique du Prix Moumié m’a également motivé au sens où le symbolique étant ce qui nous lie et va au delà de nous, c’est un prix qui permet de sortir des préoccupations généalogiques qui renferment les hommes et leurs civilisations sur eux-mêmes, pour nous ouvrir au monde en défendant des projets fédérateurs comme la liberté et la prospérité communes. Pour le faire, le Camerounais presque résigné après plus 25 ans de gâchis a besoin de symboles forts et de repères crédibles pour se relancer et se remettre à croire en lui-même par le biais de la figure historique, non d’un étranger, mais de l’un de ses dignes frères. Ceci est fondamental car Moumié en tant que modèle endogène rend certaines choses comme la lutte pour la liberté et le développement moins étranges aux Camerounais et aux Africains : C’est un prix qui opère une réappropriation de toutes ces choses.

    D’autres motivations sont aussi venues du fait que le peuple camerounais a besoins d’alternatives pour son avenir. A ce titre, le Prix Moumié a une fonction tribunitienne. Qu’est-ce que ça veut dire ? Tout simplement deux choses. D’abord, prendre la défense de la masse populaire camerounaise appauvrie, écartés du pouvoir et confinée à la résignation. Ensuite, représenter par une refondation du combat politique, non seulement la mise en forme politique des demandes socio-économiques des populations, mais aussi l’alternance par rapport au régime en place et à tout ceux qui vont dans sa logique. Le premier aspect de cette fonction tribunitienne consiste donc à défendre les catégories sociales exclues du système politique, économique et culturel tout en leur donnant un sentiment de force et de confiance. Le deuxième assume et appelle à l’organisation d’une opposition politique capable de remplacer le régime en place et de donner une nouvelle dynamique au pays. A ce titre, le prix Moumié, le CODE et MBOUA MASSOK choisissent de combattre du côté du peuple camerounais et africain afin que chaque citoyen, quelle que soit sa classe sociale et son niveau intellectuel, ait sa chance dans la vie. Mener à bien cette fonction tribunitienne nécessite des symboles et des actes. La rencontre du CODE, de MOUMIE et de MASSOK à travers ce prix est de ce fait une des pierres angulaires pour la fondation d’un Cameroun qui va de l’avant sans oublier de regarder son rétroviseur, son histoire. Cette rencontre construit un symbolisme politique qui unit les Camerounais et va au-delà de ces mêmes Camerounais en tant qu’incarnation et réincarnation d’une grande Afrique, d’une Afrique libre et prospère.

Vous avez affirmé dans un journal local que la pétition lancée par le Code vise à mobiliser les Camerounais, autour de l'alternance politique au Cameroun en 2011. Etes vous sûr que votre message a été saisi par les camerounais qui n'ont pas encore la culture des pétitions ?

    Il faut d’abord recentrer correctement les choses. La pétition lancée par le CODE mène plusieurs combats conjoints et complémentaires. L’un d’eux est d’éduquer les Camerounais et les Africains à l’alternance dans l’exercice du pouvoir et l’autre, dénoncer, refuser et expulser du pouvoir, des régimes incompétents et iniques. Ces deux aspects qu’incarne en filigrane cette pétition ne peuvent pas avoir pour échéance 2011. Ils n’ont même pas d’échéance car la défiance face à ses dirigeants doit être éternelle et permanente comme le disait Robespierre. Elle est le meilleur gardien des droits des peuples. Ce qui s’ajoute cependant dans le cas du Cameroun, c’est que 2011 est l’année où l’actuel président doit dire adieu au pouvoir pour un autre. Si ce critère constitutionnel doit scrupuleusement être respecté étant donné que c’est notre Constitution actuelle qui le dit, il ne faut pas croire que le combat du CODE va s’arrêter là car tout régime de même nature que le sien qui arriverait au pouvoir sera surveillé, questionné, condamné, renié et chassé par le peuple camerounais.

En résumé, cette pétition du CODE a plusieurs fonctions à savoir :
· éduquer les populations camerounaises à l’alternance dans l’exercice du pouvoir ;
· faire prendre conscience à ce peuple que l’alternance au pouvoir n’est pas synonyme de catastrophe comme veulent le faire croire ceux qui veulent y mourir, mais plutôt un moment tant de respiration sociopolitique, que de soutenabilité de l’exercice du pouvoir ;
·  faire prendre conscience au peuple camerounais de sa force en tant que peuple-électeur, peuple-surveillant et peuple-censeur ;
· envoyer un signal fort à tous les régimes de même nature que le présent en leur disant qu’ils seront refusés, combattus et chassés à tout moment ;
· à faire respecter les lois que les hommes se donnent eux-mêmes ;
· faire savoir que l’alternance, malgré l’ingérence extérieure des anciennes puissances coloniales, est possible en Afrique subsaharienne comme le prouvent les cas du Bénin, du Ghana, du Sénégal, de Madagascar, du Mali, de l’Afrique du Sud ou du Nigeria où la vie continue avec d’autres équipes. C’est déjà ça même si la bonne gouvernance reste à parfaire dans tous ces pays.

Ceux des Camerounais qui sont concernés uniquement par 2011 ont une vision à court terme du combat. Ils se trompent d’objectif car ce n’est qu’une étape qui marque la fin d’un régime dont nous ne voulons pas la reproduction dans sa nature profonde. Le combat du CODE est moins une histoire d’hommes que de nature des régimes en place. Cependant, tout commence aussi par le départ de Paul Biya en 2011 comme la loi suprême actuelle le dit noir sur blanc.

     Quant à la question de savoir si le peuple camerounais a compris le sens de cette pétition, je dirai qu’il a déjà compris plusieurs choses même s’il ne bouge pas très souvent. Vous savez, un peuple c’est quelque chose de disparate sociologiquement. A ce titre, c’est un moteur diesel, lent au démarrage mais très résistant. Il monte en plein régime avec le temps. Je crois que les agissements de ce peuple dans l’informel, la situation de pauvreté extrême dans laquelle il vit et la fracture sociale en place au Cameroun sont déjà la meilleure pétition qui puisse exister contre le régime Biya. Tous ces Camerounais déclassés, appauvris et sans espoir sont autant de signatures réelles pour cette pétition du CODE. Autrement dit, le peuple fonctionne comme un musicien qui veut créer une chanson. Il commence par des paroles en cherchant des mots avec lesquels il veut traduire son message d’ensemble. Actuellement, plusieurs Camerounais utilisent peut-être des mots et des stratégies différentes pour dénoncer le régime en place, mais ces différentes méthodes et les mots qu’ils utilisent pour le dire ont un lien commun : la misère qu’ils vivent et de laquelle ils veulent sortir. Donc, autant le musicien, après avoir rassemblé les mots et les notes de musiques au départ en désordre, fait une chanson cohérente à laquelle tout le monde se trémousse du matin au soir, autant ce peuple, une fois qu’il accorde ses différents logiciels de contestation, devient une force phénoménale et dicte sa loi à tout le monde. Le CODE travaille à accorder ces différents logiciels populaires qui ont mis plus de 25 ans pour s’accorder et attendent juste un bon musicien pour faire un tube au rythme duquel danseront les générations actuelles et futures. Il y a déjà des élites de même localité en conflit au Cameroun avec d’un côté ceux qui veulent que Biya meurt au pouvoir, et de l’autre, ceux qui s’en désolidarisent. Même si c’est le pouvoir en place qui organise ces deux tendances, il est important de savoir que le peuple n’est pas dupe et reconnaît toujours ceux qui l’ont menti et oublié pendant des décennies. Donc, quand ton cousin, ton ami ou ton camarade te dit, je souffre ici, il a déjà immédiatement par ces mots signé la pétition du CODE pour un avenir meilleur.

Quel sentiment avez-vous en tant qu'économiste lorsque vous voyez un pays producteur de pétrole avec d’énormes potentialités énergétiques subir à longueur de journée le délestage et des coupures d’eau, noyé dans une kyrielle de maux ?

  La gestion des matières premières est un problème qui ne concerne pas seulement le Cameroun mais toute l’Afrique noire. Je ne sais pas si vous savez que le taux de croissance le plus élevé du monde en 2006 était celui de l’Angola avec 26 % suivi de la Guinée Equatoriale qui affichait un taux de croissance de 15%. Il faut cependant savoir que comme dans toute économie de rente, ce sont des taux de croissance purement nominaux et non réels. Tout dépend de la destination que les dirigeants donnent aux devises ainsi accumulées c’est- à- dire de l’utilisation du surplus dégagé par l’exploitation pétrolière. D’autres pays comme le Gabon, le Nigeria, le Congo Brazzaville ont également d’énormes ressources pétrolières mais ne les utilisent pas toujours à bon escient. Vous êtes sans ignorer ce qui se passe au Nigeria où les populations locales ont vu leurs terres polluées et ne sont ni employées dans les raffineries qui sont des industries à haute technicité, ni intégrées dans le partage des ressources tirées de leurs terres. Il n’est pas besoin ici de rappeler les réseaux mafieux que l’affaire Elf a mis en évidence entre les dirigeants africains et les multinationales pétrolières. Je dirai juste que Elf a financé la guerre civile au Nigeria, en Angola et au Congo brazzaville. Ceci dit, au lieu d’être une source de progrès, le pétrole est devenu une source de conflits pour nos pays à cause d’une exploitation ne tenant compte ni des contraintes environnementales, ni du partage équitable des ressources entre les populations. Je démontre dans un de mes articles sur ce thème qu’il s’est développé une logique implacable en Afrique subsaharienne selon laquelle « celui qui est au pouvoir contrôle l’économie de rente et celui qui contrôle l’économie de rente reste au pouvoir ». Comme vous le constatez, l’exploitation des matières premières en Afrique noire et ailleurs dans le monde ne relève pas de l’économie pure à cause de nombreuses interférences politiques et mafieuses qui polluent ce secteur et font naître de tels cercles vicieux.

    C’est aussi le cas que Cameroun où sous l’ancien et l’actuel président la gestion des ressources pétrolières est restée occulte et uniquement du ressort de la présidence de la république. Il a fallu que les institutions financières internationales exigent la budgétisation des recettes pétrolières il y a quelques années pour qu’elles figurent enfin sur la balance des paiements camerounaise. Malheureusement notre production est déjà très faible en attendant la découverte d’autres gisements. Les dirigeants passés et actuels disaient mettre l’argent du pétrole de côté afin d’éviter au Cameroun ce que les économistes appellent le syndrome hollandais. En termes simples, le syndrome hollandais traduit juste cette situation où la prospérité induite par l’exploitation d’une ressource naturelle peut entraîner l’abandon d’autres secteurs d’activités comme par exemple l’agriculture. Un pays comme le Nigeria le connaît en ce moment car son secteur pétrolier a complètement absorbé le secteur agricole au point où les importations des produits alimentaires y sont en hausse chaque année. Donc, comme je le disais, les responsables camerounais disaient garder l’argent du pétrole pour éviter ce phénomène et le sortir quand notre économie ira moins bien. Le pays est effectivement entré en crise dans les années 80 et l’argent n’est jamais sorti du coffre fort de la présidence de la république : c’est ça le pétrole camerounais. Le combat affiché contre le syndrome hollandais a donné un syndrome camerounais, c’est- à- dire, de l’argent disparu des coffres forts de la présidence ou alors suspendu en apesanteur dans l’espace entre Yaoundé et New York comme celui du coup de cœur fait au Lions indomptables en 1994.

    Le problème d’eau et d’électricité que relève en outre votre question est aussi pour moi le résultat d’un manque de sérieux dans les réformes. Ce qu’il faut savoir c’est qu’il existe des secteurs comme ceux de l’eau et du courant électrique où les économistes ont démontré que la production et les coûts unitaires sont plus faibles lorsque le secteur est assuré par une seule entreprise nationale que par plusieurs. En termes techniques, on dit qu’il y a sous-additivité de la fonction des coûts et rendements dimensionnels croissants. C’est la raison pour laquelle plusieurs pays ont toujours géré ces secteurs et continuent à la faire comme des monopoles publics afin de garantir l’intérêt général. L’erreur, à mon avis, qu’a faite le Cameroun et d’autres pays subsahariens, fut de privatiser ces secteurs en passant des monopoles publics à des monopoles privés par une stratégie de cession pure et simple au lieu des concessions où l’Etat garde son mot à dire parce qu’il garde des actions dans les entreprises. En conséquence, sans concurrence dans le secteur, les prix ont augmenté et le service s’est détérioré. Il aurait pourtant fallu qu’on déterminât un bon cahier des charges dans une stratégie de concession avec concurrence dans le secteur pour qu’il en soit autrement. On pouvait aussi mettre en place une clause contractuelle suivant laquelle les partenaires de l’Etat dans ce secteur ne peuvent continuer leurs activités qu’après une évaluation nationale du niveau de satisfaction des services rendus aux populations pendant la durée du précédent contrat. Le gouvernement camerounais a choisi d’autoriser les monopoles et on sait que le monopoleur, tout puissant car seul offreur face à une multitude de demandeurs, commence toujours par augmenter les prix et à choisir les quartiers et les populations solvables. Ces secteurs ne sont pas à laisser aux entreprises qui viennent juste faire du profit. Ce sont des secteurs stratégiques qui garantissent non seulement la souveraineté énergétique d’un pays mais aussi l’intérêt général que doit poursuivre l’Etat. Si privatisation il y a elle devrait tenir compte de ces aspects et des classes vulnérables qui ne peuvent pas payer les prix pratiquées par les entreprises privée. Il serait réjouissant que les députés camerounais au lieu de revendiquer une hausse de leurs salaires et transferts soient préoccupés par de telles choses. Pourquoi par exemple ne pas introduire et défendre des projets de lois pour creuser des dizaines de puits d’eau potable dans les quartiers populaires ? Le sol où se trouve l’eau appartient quand même encore au Camerounais.

Quel regard jetez-vous sur la gouvernance du président Paul Biya au Cameroun ?

Un fiasco total. D’aucun vont croire que je suis très dur mais je vais encore une fois partir de la réalité et finalement ils seront tous du même avis que moi. D’abord, j’aimerai vous dire que je préfère le terme gouvernement qui signifie à la fois l’équipe dirigeante et l’action de mener vers, de diriger ou d’orienter. La gouvernance a un aspect normatif et néolibéral qui ne me plait pas beaucoup. Donc, pour revenir à la question, dans ses deux aspects, le gouvernement du régime Biya est une kyrielle d’espoirs nourris et de déceptions concrétisés. Je vais d’abord signaler l’échec total du projet de société annoncé en 1982, et dans un deuxième temps, les régressions sociales réalisées par le régime.

    La rigueur dans la gestion, la moralisation des comportements et le libéralisme communautaire étaient les pivots centraux du projet de société de monsieur Biya dès 1982. Sur le plan de la rigueur dans la gestion, je demande aux Camerounais si c’est elle qui a entraîné la disparition de la SOTUC, de la SODECAO, de l’ONCPB, de la SONEL, des banques dont le Crédit agricole, des Comices agro- pastoraux, des bourses à l’université et j’en passe. En ce qui concerne la moralisation des comportements, est-ce elle qui a entraîne les massifs détournements de deniers publics qui envoient les dignitaires du pouvoir en prison ces derniers temps ? Subitement en fin de règne et n’ayant plus peur de rien, le président, juge et partie dans ces arrestations, voit ce que les Camerounais dénonçaient il y a des années et des années. Ceux qui croient que c’est la crise économique qui serait à l’origine de ces échecs ignorent non seulement que gouverner c’est prévoir et que les crises ne tombent pad du ciel, mais aussi que c’est justement les crises qui sont des occasions pour montrer sa bonne gestion à tout le monde. Où est par exemple parti l’argent du pétrole qu’on disait attendre la crise ? Le Cameroun est-il devenu n°1 mondial de corruption à cause de la rigueur et de la moralisation ? Est-ce la bonne gestion qui a entraîné le déclassement du pays de pays à revenu intermédiaire à celui de pays pauvres très endetté ? Dans le même ordre d’idée, le libéralisme communautaire, belle pensée théorique, est restée de l’ordre de la pansée alors que si la pensée précède l’action, cette pensée ne sert à rien si l’action ne suit pas. Où est le libéralisme communautaire au Cameroun en 2007 ? Je vois plutôt un appauvrissement communautaire généralisé et un enrichissement corporatiste à la tête de l’Etat.

    Le régime actuel a aussi entraîné la régression et même la disparition de plusieurs avancées sociales déjà en place à son arrivée. Où sont passées les bornes fontaines publiques où les populations puisaient de l’eau potable ? Où sont passés les services publics de transport urbain et universitaire ? Où sont passés les comices agropastoraux ? Où est passé l’emploi des jeunes ? Où sont passées les bourses universitaires ? Où sont les hôpitaux publics où les populations se soignaient gratuitement au temps de monsieur Ahidjo ? Pourquoi la « feymania » est devenu un mode de vie internationalement reconnu de certains Camerounais ? Pourquoi le secteur informel devient plus protecteur pour les citoyens que l’Etat ? Je demande aux compatriotes de répondre eux-mêmes à ces questions et de tirer eux-mêmes le bilan qui s’impose pour la gouvernance dont vous parlez.

    Ce régime dit généralement qu’il a apporté la démocratie aux Camerounais. Ce qui est déjà faux car le processus démocratique commence au Cameroun depuis la contestation de l’Etat-colonial par des leaders historiques comme Moumié et Um Nyobé avant les indépendances. Dans les années 90 ce sont les pressions de la communauté internationales et des populations camerounaises qui ont entraîné l’ouverture démocratique alors que le régime qualifiait ceux qui revendiquaient de marchands d’illusions, ceux qui revendiquaient la libéralisation champ politique. D’autres limites sont à signaler au niveau de la programmation de la politique de développement. Rien de cohérent n’est prévu. C’est la navigation à vue qui prévaut. Je m’explique. Le régime profite des effets d’aubaine comme des externalités positives des projets exogènes comme le pipeline Tchad-Cameroun, les PPTE et la lutte contre la pauvreté. C’est comme si on lançait un caillou à l’aveuglette dans un arbre en espérant que par chance il pourra cueillir un fruit ou plusieurs.

Les jeunes Camerounais semblent désespérés. Le Professeur Kapet de Bana dont vous connaissez très bien en tant  membre du Code a affirmé récemment lors d’une conférence à Bruxelles que le régime de Biya est juvénophobe et suicidaire. Que penses-vous de ces affirmations ? 

Je connais très bien le prof. Kapet et sa rhétorique même si je trouve qu’il a été gentil sur ce coup là. Même si je comprends ce qu’il exprime par ce terme, je dirai plutôt que le régime en place souffre de ce que je peux appeler une pulsion anti-jeunes chronique et inflationniste. Et pourtant, « le fer de lance », est le nom que Monsieur Biya a donné aux jeunes camerounais. Depuis, force est de constater que « ce fer de lance » s’est largement rouillé car laissé sous la pluie et le soleil sans soins depuis 1982. Combien de fois ce régime est allé chercher de croulants vieillards en retraite pour leur confier des postes de responsabilité alors que de jeunes bardés de diplômes et pétris de talents sont dans l’administration ou tout simplement sans emploi ? Il serait intéressant d’analyser l’âge moyen des différents gouvernements Biya pour montrer la portée de la  pulsion anti-jeune chronique et inflationniste qui les caractérise. C’est une insulte envers les jeunes camerounais car aller chercher des vieux en retraite, quels que soient leurs talents, correspond à une négation pure et simple de leurs qualités depuis 1982. Je parle de pulsion en faisant allusion à Freud car c’est propriété endogène à ce régime et qui constitue un de ses codes génitiques et morbides. Cette pulsion est inflationniste car l’aversion de ce régime envers les jeunes augmente avec le temps depuis qu’il est en place. J’aimerai bien savoir ce qu’on appelle Jeune au Cameroun et en Afrique en général  quand ceux dont on parle ont 30 ou 40 ans ?

Je vais encore une fois utiliser une image pour illustrer cette pulsion anti-jeune chronique et inflationniste dont je parle. La structure socioéconomique camerounaise est actuellement comparable à un sablier. La grande base inférieure du sablier représente les strates culturelles et structurales que sont nos zones rurales et leurs populations appauvries. La boule supérieure représente la clique au pouvoir depuis les indépendances et qui s’enrichit de façon insolente et illicite. Entre la base inférieure pauvre et la base supérieure hyper riche, se trouve la jeunesse et donc l’avenir étranglé. Encore une fois, l’histoire du développement montre que si la base est appauvrie et l’avenir (la jeunesse) oubliée et niée, alors la boule supérieure n’est qu’un feu de paille car il n’y ni fondations solides, ni dynamisme apporté par les jeunes. Mais la jeunesse est là car ceux qui sont en train d’accumuler pour eux-mêmes à la tête de l’Etat ne peuvent pas gagner contre lui. Les jeunes ont une arme fatale c’est le temps qui est pour eux qu’on le veuille ou pas à condition qu’ils se mettent au combat. Les feuilles d’un arbre n’ont pas d’avenir sans les racines qui nourrissent et le tronc qui soutient tout par sa force. Regardez ici en hiver les feuilles tombent mais tant que les racines sont enfouies et tiennent le tronc, l’arbre vit toujours et fleurie de nouveau dès que le temps est favorable. Disons que les jeunes camerounais sont comme cet arbre en hiver. Ils doivent se former, se battre et militer pour que l’hiver passe avec sa « juvénophobie ».

En tant que citoyen Camerounais, Quel est votre rêve pour le Cameroun de demain ?

  Je rêve d’un Cameroun juste, prospère et rayonnant sur la scène internationale avec autre chose que le football qui est d’ailleurs une fierté pour nous tous. Je rêve d’un Cameroun avec une commission électorale indépendante, où le vote regagne en estime et sert à quelque chose en traduisant les orientations sociales des hommes et des femmes de ce pays. Un Cameroun où la participation des populations à la construction de leur avenir ne sera plus un slogan politique, mais le résultat d’un processus. Bref, d’un Cameroun où tous les citoyens quels que soient leurs rangs sociaux pourront manger à leur faim, se soigner, envoyer leurs enfant à l’école, avoir de l’eau potable, choisir les idées politiques qu’ils veulent, avoir des identités multiples (ethniques, religieuses et nationales) et vivre en paix. D’un Cameroun où les intellectuels accompagneront moins les régimes qu’ils ne les questionneront. Un Cameroun où ne va plus instrumentaliser la jeunesse quand les lions indomptables gagnent en leur demandant d’être unis et soudés comme son équipe nationale. Un Cameroun où on respecte les lois qui existent et où on changera les mauvaises. Nous pouvons ensemble le réaliser car notre pays a tout.

© Interview réalisée à Louvain-la-Neuve Université par Hugues SEUMO

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